Témoignages

Caroline Nijland – Comment la Négociation Responsable peut-elle contribuer à concrétiser le Développement Durable ? 

Caroline Nijland œuvre pour un système économique prônant le Développement Durable et Equitable. Elle s’est engagée depuis 1999 dans le domaine de l’électrification rurale, particulièrement l’utilisation de l’énergie solaire en Afrique subsaharienne. Possédant une solide expérience dans la mise en place et la gestion de sociétés d’électricité, elle a occupé différents postes dont celui de Directrice Générale de la Fondation Rural Energy Services (FRES) de mars 2007 à mai 2018 aux Pays-Bas. De février 2014 à mars 2018, elle a été membre du Conseil d’Administration et Vice-Présidente du Conseil d’Administration de l’Alliance pour l’électrification rurale à Bruxelles. En juillet 2018, Caroline Nijland a lancé sa propre entreprise, Helios Infinitas, pour des services de conseil, de développement commercial, de gestion de projets et d’exploitation, de formation et de lobbying dans le domaine des énergies renouvelables et de l’électrification rurale, de l’accès à l’énergie en Afrique. En juillet 2020, elle est lauréate du Global Woman Award sustainability, récompense obtenue pour son exceptionnelle contribution dans le secteur de l’énergie renouvelable, notamment en Afrique où 600 millions de population ont bénéficié de ce dispositif pour avoir accès à l’énergie. Comment réussir à négocier avec les différentes institutions et toutes les parties prenantes en les fédérant autour du 7ème objectif assigné pour 2030 qui est d’alimenter en électricité les pays émergents ?

Avec quelles Parties Prenantes est-il le plus difficile de négocier pour l’installation de l’énergie solaire en Afrique ? Quels sont les différents freins auxquels de tels projets se heurtent ? 

Dans mon secteur et en tant que développeur de projets et entrepreneuse, pour la bonne implémentation de projets d’électrification rurale en Afrique, il est important voire nécessaire de négocier avec plusieurs acteurs dont les autorités nationales et locales, les communautés, les ONG locales, le secteur privé et les fonds financiers et bailleurs de fonds. Une pléthore d’acteurs qui ont chacun leur rôle à jouer et leurs responsabilités.

Un milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Plusieurs centaines de millions d’individus disposent d’une alimentation électrique peu fiable et onéreuse, ce qui freine considérablement le développement économique des pays émergents. Pour parvenir à généraliser l’accès à l’électricité, il faut à la fois développer les réseaux traditionnels et les solutions hors réseau, mais aussi un environnement favorable (politiques publiques, institutions, planification stratégique, réglementation et incitations).

L’accès universel à l’énergie reste un objectif difficile à atteindre. Parce que les populations qui ne bénéficient toujours pas de ce service habitent dans des zones reculées et/ou sont pauvres. Dans les zones urbaines, ce sont les populations pauvres qui ne sont toujours pas desservies. Même s’il est a priori plus facile de relier ces habitants au réseau électrique, il est compliqué de fournir une infrastructures permanentes aux quartiers d’habitats informels où vivent nombre d’entre eux. En revanche, le coût d’extension du réseau peut être prohibitif pour les ménages installés dans des zones reculées, où même les systèmes hors réseau peuvent se révéler difficiles à envisager sur le plan financier. Les gouvernements n’ont souvent pas les moyens financiers pour étendre le réseau traditionnel.

Les principaux défis à l’extension du réseau électrique résident dans l’insuffisance des capacités de production, la mauvaise qualité de l’infrastructure de transport et de distribution, le coût de la fourniture dans les zones reculées ou, tout simplement, le prix de l’électricité.

En ce qui concerne l’électrification hors réseau, et notamment les mini-réseaux décentralisés, les principaux problèmes tiennent à la qualité des politiques publiques, à la pertinence de la réglementation, au manque de planification et d’appui institutionnel, à des financements insuffisants pour les entreprises opérant dans ce domaine et au coût de l’accès à l’électricité hors réseau pour les ménages les plus pauvres.

Comment mobiliser les parties faibles et absentes pour concrétiser ces projets ? 

L’énergie durable est un facteur clé de développement, essentiel à la réalisation de l’Agenda de développement 2030 ainsi que de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Toutes les parties prenantes, y compris les bailleurs de fonds bilatéraux, les organisations internationales, les institutions de financement du développement, le secteur privé et la société civile, doivent unir leurs forces pour soutenir les efforts déployés dans le processus de l’accès à l’énergie.

S’il y a une chose que j’ai bien acquise sur le terrain c’est de travailler avec les communautés locales et les autorités nationales et locales car ceci relève d’une complexité culturelle qui n’est pas innée en nous. Afin de mobiliser toutes les parties prenantes, surtout celles (les communautés et ONG) qui n’ont pas l’habitude d’être prises en compte lors de la conception des projets nous avons plusieurs outils à notre disposition :

  • La Communication : Les autorités locales veulent transmettre un message à un public cible tel les communautés rurales et obtenir l’approbation pour l’implémentation d’un projet. Les informations sont destinées à être objectives et représentent un moyen de responsabiliser les parties prenantes à réagir aux décisions ou à prendre position en toute connaissance de cause ;
  • La Consultation : lors des campagnes de sensibilisation les autorités ou les développeurs de projets recueillent les avis des parties prenantes consultées sans aucune garantie que les opinions exprimées seront prises en compte ;
  • Le Dialogue : L’objectif est de mieux se connaître et se comprendre. Le dialogue vise à créer un sentiment de proximité et de compréhension mutuelle des problèmes et solutions ;
  • La Concertation : Contrairement au dialogue, l’objectif est de développer une position commune au sein d’un groupe de représentants des parties prenantes et statuant sur une décision ou plusieurs pour le bon déroulement du processus de développement.
  • Enfin, la négociation, je négocie beaucoup avec les gouvernements en ce qui concerne l’obtention de concessions, l’exonération de droits de douane et l’obtention de tarifs abordables à appliquer aux clients mais pouvant aussi couvrir les charges opérationnelles et de remplacement d’infrastructures de la société d’électricité. Il faut s’assurer qu’on engage un groupe de parties prenantes qui soit bien diversifié, notamment, un groupe qui reflète les intérêts sociaux/culturels, économiques, financiers et écologiques. De plus, il ne faut pas oublier d’aborder la question du droit de participation. Une fois qu’en tant que développeur de projets on a élaboré un plan, il sera ouvert à la consultation pendant un certain temps par les communautés locales et autorités locales, avant l’approbation finale par le gouvernement.

Comment gérez-vous le fait d’être une femme en situation de négociation dans le domaine énergétique traditionnellement dirigé par des hommes ?

A vrai dire, je n’ai jamais trop réfléchi sur ce sujet. J’ai entamé ma carrière dans les énergies renouvelables et notamment l’électrification rurale lorsque j’avais 26 ans. J’ai eu la chance de suivre les pas de mon père qui était dans les années 70 un des premiers pionniers de l’énergie solaire/l’électrification rurale en Afrique. Il m’a beaucoup appris sur ce thème et je l’ai accompagné de temps en temps lors de ses missions et lors des négociations avec les gouvernements ou les bailleurs de fonds. J’avais donc un excellent mentor. Nous avons tou(te)s besoin d’un(e) mentor, une personne avec un réseau et des compétences et connaissances et surtout une expérience valorisée dans le domaine. Mais cela dit, j’ai quand même dû démontrer plus que les hommes mes capacités à gérer des grands projets et à gérer des sociétés en Afrique à prédominance mâle. Dans les années 1990 et 2000, j’étais une des rares femmes et souvent la seule femme, en plus, j’étais jeune, à travailler dans ce secteur. J’avais l’impression que je devais faire mes preuves plus que les autres, surtout lorsque j’étais vice-présidente ou présidente dans les conseils d’administrations. Est-ce que c’était une impression réelle que je constatais chez les autres ou c’était ma propre conviction ? Je ne sais pas mais le fait est que j’ai travaillé pendant de longues semaines, pendant des années pour me démarquer et pour montrer ma capacité. Mon conseil aux autres femmes est dans de tels cas de travailler dès que possible sa confiance en soi car ceci peut représenter un frein, de bien écouter toutes les parties et d’oser poser des questions pour être sure que l’on a bien compris ce que l’autre partie exprime. Cette écoute permet de faciliter les négociations. Et enfin, il est primordial de constamment s’instruire en lisant la littérature du secteur en question et d’aller beaucoup sur le terrain pour être bien informé par toutes les parties. Cela permet de se faire sa propre opinion. Un cours en négociation est aussi utile afin de comprendre les différentes positions des parties prenantes. Dans toutes les petites et moyennes sociétés d’électricité que j’ai eues à diriger nous avons instauré une politique de genre et d’inclusion sociale pour une meilleure et équitable intégration des femmes à tous les niveaux de fonction. La règle était au moins 50% de femmes dans une société.

Comment responsabiliser toutes les parties prenantes (décisionnaires ou simplement concernées) et leur faire partager le leadership ?   

Tout d’abord, il y a plusieurs raisons pour impliquer les parties prenantes. Pour en nommer certaines :

  • Encourager la propriété du processus de planification spatiale et du plan final,
  • Susciter la confiance des parties prenantes et des décideurs et encourager le respect volontaire des règles et réglementations ;
  • Mieux appréhender la complexité (culturelle, géopolitique, spatiale, temporelle et autre) de la zone de gestion.
  • Améliorer la compréhension mutuelle et partagée des problèmes et défis dans le domaine de la gestion ;
  • Mieux comprendre les souhaits, perceptions et intérêts sous-jacents qui stimulent et/ou interdisent l’intégration des politiques dans le domaine de l’électrification ;
  • Générer de nouvelles options et solutions qui n’ont peut-être pas été identifiées dans l’étude de faisabilité.

Dans nos projets d’électrification rurale, nous encourageons les communautés d’envisager si le cas le permet l’ownership d’une des infrastructures (par exemple le mini-réseau électrique ou les bâtiments des PME) qui sont installées pour la provision de l’électricité. Ceci encourage le soutien et la responsabilité de la communauté ainsi que le bon déroulement du projet.